L'intimité du couple face à l'allaitement
'' Comme deux faons, sont tes deux seins,
comme deux jeunes gazelles qui sont jumelles et qui vont paître parmi les lys. ''
Cantique des cantiques 4 : 5
NOTE :
Ces articles ont été repris du site de la Leche League,
association de soutien et d'informations sur l'allaitement maternel :
www.lllfrance.org
L’arrivée d’un bébé est toujours un bouleversement majeur dans la vie, pour la mère, pour le père, et pour le couple qu’ils forment.
Ce sont soudain, avec ce petit être qui s’invite, de nouveaux rôles à endosser, auxquels bien souvent les jeunes parents n’ont pu se préparer.
Le jeune adulte se construit en se projetant dans un modèle professionnel, relationnel… Mais qu’en est-il d’un modèle parental ?
Les jeux d’imitation immémoriaux se sont transformés : les petites filles ne bercent plus leur poupon, mais habillent leur poupée Barbie ; elles ne se projettent plus dans un rôle maternel, mais
dans celui de femme séductrice et de compagne sexuelle.
Cette nouvelle organisation est symptomatique des attentes sociales, et en dit long sur la non-préparation des jeunes parents, dont le désarroi peut être immense : mamans soudain submergées par
la violence de leurs sentiments, sentiment d’urgence absolue face aux besoins du tout-petit, dont les exigences de disponibilité constante sont parfois difficiles à supporter quand on ne les
attendait pas, et papas démunis devant la redistribution du temps quotidien.
La fusion mère-bébé nécessaire n’est bien souvent pas comprise, pas reconnue, voire pas acceptée, par un papa totalement pris au dépourvu par le comportement de sa compagne, qui ne s’accorde pas
avec le modèle social courant.
On s’attend à ce que le bouleversement du post-partum fasse verser quelques larmes dans les premiers jours, occasionne un peu de fatigue les deux ou trois premières semaines. Puis, après une
thalasso roborative qui efface les dernières traces de la grossesse, les kilos en trop et la mauvaise mine, la maman reprend le travail dix semaines après la naissance, reposée, mince, en pleine
forme, disponible et plus séduisante que jamais !
Caricature ? C’est pourtant l’image que véhiculent les magazines.
Qui connaît les travaux sur la sexualité du post-partum, montrant que toutes les mères, allaitantes ou pas, voient leur libido transformée pendant cette période particulière ? Ce moment intense
dans la vie sexuelle d’une femme, où elle n’est très souvent pas disponible au désir masculin, mais a besoin de tendresse, d’accompagnement, de maternage, pour pouvoir fournir l’effort intense et
quotidien exigé par les soins au bébé ?
Mais la femme qui allaite explore aussi une nouvelle facette de sa sexualité, et, pour certaines, réapprivoise son corps : allaiter peut permettre de vivre son corps de manière plus
gratifiante encore qu’auparavant, de réparer aussi, le cas échéant, un accouchement traumatique qui a pu la laisser blessée, meurtrie, et abîmer durablement l’image qu’elle a d’elle-même et de
son corps (combien d’accouchements humiliants, où le sexe de la femme est exposé, méprisé, mutilé, son corps bafoué ?).
Certaines ont pu ainsi parler de véritable révélation, et se découvrir plus femme que jamais grâce à un allaitement heureux.
Pour la nouvelle mère, accaparée de façon tout à fait normale par son bébé (la « folie » maternelle dont parle Winnicott !), son compagnon est désormais le père de son bébé. Elle ne pourra
plus jamais l’oublier dans la relation qu’elle noue avec lui. Est-ce à dire que c’est sous cette dénomination qu’il devra désormais la séduire ? Sans doute !
Le poète et grand séducteur Victor Hugo ne conseillait-il pas : « Vous qui cherchez à plaire, ne mangez pas l’enfant dont vous aimez la mère» ?
La relation de couple ne pourra se décliner en faisant abstraction de la nouvelle donne : ce couple amoureux est devenu, et pour toujours, un couple parental.
1. La reprise des relations sexuelles :
Sur le plan biologique, il n’est pas étonnant que les femmes allaitantes communiquent chimiquement avec les autres femmes. Un des auteurs de l’étude a fait le commentaire suivant : « De nombreuses espèces utilisent les signaux provenant d’autres femelles pour déterminer si les conditions sont assez bonnes pour accepter de dépenser l’importante quantité d’énergie et courir les risques liés à la grossesse et à la lactation. Quel meilleur signal pourrait-on utiliser pour montrer que les conditions sont bonnes, que la présence d’une autre femme ayant réussi à mener à bien une grossesse et maintenant en train d’allaiter un bébé ? »
Pourtant, en dépit des signes montrant que les femmes allaitantes peuvent augmenter la libido d’autres femmes, elles ont la réputation de ne pas être intéressées
par les relations sexuelles. Et ce tout particulièrement pendant la période où elles tentent laborieusement de concilier leur nouveau rôle de mère et leur rôle précédent d'amante.
La sexualité représente bien plus que l’acte sexuel. Elle inclut également la façon dont une femme se perçoit elle-même en tant que femme, ses sentiments sur l’intimité, le toucher et le plaisir.
Dans la transition entre la mère et l’amante, ses seins, et la perception qu’elle en a, joueront un rôle important dans sa sexualité, et pourront également être à l’origine de certains
conflits.
Il existe une large gamme d’expériences « normales » pendant chacune de ces phases, depuis la conception jusqu’au parentage, mais de nombreuses femmes pensent être les seules à éprouver ce
qu’elles éprouvent. Une discussion sur le sujet, avec une personne faisant preuve de tact et de sensibilité, sera habituellement la bienvenue, dans le cadre de l’information anténatale, du
conseil à l’allaitement, ou d’une discussion structurée dans un groupe de mères. Il peut être rassurant d’apprendre que tous les couples connaissent à la fois des joies et des difficultés avec
les aspects physiques et psychologiques du passage du rôle d’amants à celui de parents, et que de nombreuses femmes trouvent difficile de jongler entre ces deux rôles.
La mère allaitante a un taux élevé de prolactine et une inhibition de la sécrétion d’œstrogène, de progestérone et de testostérone, souvent pendant une longue
période. Chez certaines femmes, la montée du désir sexuel est plus lente et moins intense, et la lubrification moins abondante. La plupart de ces problèmes disparaissaient avec le retour de
couches.
Les lésions pelviennes ne sont pas rares au cours de l’accouchement, et peuvent engendrer des difficultés à éprouver du désir. Le tonus du plancher pelvien peut être difficile à rétablir pendant
la période d’aménorrhée lactationnelle, mais les femmes devraient être encouragées à maintenir leur tonus pelvien à l’aide d’exercices adaptés.
Pas avant 6 semaines ?
On avait l’habitude de dire aux femmes d’attendre six semaines après l’accouchement pour reprendre les rapports sexuels, mais il n’existe aucun fondement
physiologique à cette recommandation en l’absence de complication. Le col de l’utérus s’est généralement refermé à deux semaines post-partum, et même si de nombreuses femmes n’ont aucun intérêt
pour le sexe à ce moment, certaines se sentent prêtes à reprendre les rapports sexuels, et il n’y a aucun risque à le faire.
Il existe de très importantes variations quant au moment où la femme se sent prête à reprendre les rapports sexuels après un accouchement. Cela est influencé par des facteurs physiques et
émotionnels, ainsi que par les aspects pratiques de la vie avec un nouveau bébé. L’inconfort lié à une épisiotomie ou à une déchirure peut persister pendant des mois, et certaines femmes évitent
les rapports sexuels par peur d’avoir mal. Le sentiment d’avoir été mutilée peut compliquer encore les choses. Certaines femmes sont fatiguées, très occupées avec leur bébé, ou bien n’éprouvent
juste aucun intérêt pour le sexe .
Une étude canadienne a identifié cinq variables associées à la reprise des relations sexuelles à six semaines post-partum, l’allaitement étant la plus importante. Chez les femmes qui n’avaient
pas encore repris les relations sexuelles, les raisons les plus fréquemment citées étaient l’absence d’intérêt, la fatigue, la peur de la douleur, le fait qu’elles pensaient, ou qu’un médecin
leur avait dit, qu’il fallait attendre six semaines avant d’avoir des rapports sexuels. L’étude concluait que les couples gagneraient à avoir une discussion ouverte sur l’allaitement, la
sexualité et la contraception en post-partum immédiat.
Il peut être sain pour une femme de récupérer son corps pour elle-même avant de recommencer à le partager avec son compagnon.
Des études ont constaté que, dans l’ensemble, les femmes qui allaitaient reprenaient plus rapidement une activité sexuelle après la naissance que les mères qui
donnaient un lait industriel, et que l’allaitement et la sexualité étaient positivement corrélés. Dans une étude sur 1000 mères new-yorkaises, 30 % disaient que les relations sexuelles avec leur
mari s’étaient améliorées avec l’allaitement, et seulement 2,5 % faisaient état d’une dégradation (et toutes étaient des femmes qui avaient des difficultés sexuelles préexistantes).
Mais la réalité reste que de nombreuses femmes ont besoin d’un bon bout de temps avant de reprendre les relations sexuelles. Cela pourrait d’ailleurs faire partie d’une programmation favorisant
la survie de l’enfant. Dans d’autres espèces, il est fréquent d’observer une longue période d’abstinence sexuelle après la naissance d’un petit.
Si certains aspects hormonaux, physiques et psychologiques de l’allaitement peuvent avoir un impact sur la sexualité et la libido d’une femme, l’essentiel des changements est en fait lié à l’arrivée, à la présence et aux exigences d’un nouveau bébé, et ce quelle que soit la façon dont il est nourri.
L’absence de désir peut également être psychologique, dans la mesure où le couple se débat pour s’adapter aux rôles apparemment incompatibles de parents et d’amants. Une mère pourra avoir besoin de temps pour apprendre à partager son corps à la fois avec son bébé et avec son mari, même si ce n’est pas de la même façon. Le compagnon pourra passer après le bébé, au moins pendant une période.
Dans la mesure où, pour la plupart des nouvelles mères, l’épuisement est la principale raison à leur absence d’intérêt, l’aide du compagnon pour les tâches ménagères peut faire la différence.
Cependant, les sensations éprouvées par de nombreuses femmes pendant les tétées sont habituellement très différentes de celles éprouvées pendant l’excitation et les relations sexuelles. La plupart des mères ressentent un sentiment sensuel de paix et de sérénité, ou un sentiment global de chaleur et de relaxation suite au réflexe d’éjection du lait.
Il est intéressant de constater que la chirurgie d’augmentation mammaire a pour résultat des seins d’un volume plus important, imitant l’apparence de seins lactants, pleins de lait.
Dans la relation de couple, les seins lactants peuvent être vécus par chaque partenaire comme attrayants, signe de féminité, ou comme un tue-l’amour. La plupart du temps, les seins sont plus volumineux et plus fermes, mais ils peuvent être sensibles, ou du lait peut s’en écouler, en particulier pendant les rapports sexuels.
Une mère raconte : « Lorsque nous avons réalisé que du lait jaillissait de mes seins chaque fois que j’avais un orgasme, cela a été une grande source de satisfaction pour mon compagnon et moi. Il savait sans l’ombre d’un doute que j’avais eu un orgasme, et j’aimais pouvoir le lui montrer de cette façon. »
La question de savoir « à qui appartiennent les seins » et à quel moment chaque « propriétaire » pourra y accéder peut être à l’origine de dilemmes intéressants. Si l’un des partenaires a l’impression que les seins sont « tabous », les jeux sexuels pourront être inhibés jusqu’à la mise en place d’ajustements.
Certaines femmes n’aiment pas que leur partenaire touche leurs seins ou les suce, parce qu’elles ont eu un bébé dessus toute la journée.
D’autres couples aiment inclure dans leurs jeux sexuels des seins qui dégoulinent de lait, et certains hommes aiment boire le lait de leur femme à cette occasion, ou la soulager en cas d’engorgement.
5.Nouvelle dimension :
De nombreuses femmes constatent que leur sexualité prend une nouvelle dimension pendant cette période, mais que leur intérêt se déplace ailleurs que dans la
sexualité génitale. Elles se sentent pleinement satisfaites en utilisant leur corps pour porter un enfant, puis s’en occuper. Dans certains cas, il peut falloir des mois à une femme pour avoir
envie d’inclure une relation sexuelle dans ce sentiment global de satisfaction.
Dan ce cas, son compagnon aura besoin d’être rassuré sur le fait qu’il ne se retrouve pas à la dernière place dans sa vie. S’il peut admettre intellectuellement que le bébé nécessite beaucoup
d’attention de la part de sa compagne, il peut ne pas accepter que toute son attention soit drainée par le bébé – une attention dont il était auparavant le seul à bénéficier.
Un père a fait part d’une perspective intéressante. Décrivant les hommes comme centrés sur eux-mêmes, il disait : « Nous avons besoin que notre compagne nous rappelle tous les jours que son
manque d’intérêt pour le sexe n’a rien à voir avec nous, ou avec quelque chose que nous avons fait – et qu’elle nous trouve toujours attirants. »
Une étude a trouvé que les futurs pères avaient un besoin accru d’être maternés, et que cela se manifestait par une augmentation des appels téléphoniques et des courriers à leurs parents, et de
demandes sur l’histoire de leur naissance et de leur enfance.
Conclusion :
L’expérience de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement peut élargir la sexualité de la femme, et la façon dont elle apprécie d’être une femme. Pour de
nombreux couples, c’est également une expérience excitante et gratifiante à vivre, par le biais du partage, de l’intimité et des relations sexuelles. Ces relations sexuelles seront différentes,
elles pourront être moins fréquentes, mais il n’y a pas de raison qu’elles soient moins agréables.
Il est peu probable que la venue d’un bébé améliore une relation de couple déjà en mauvais état, mais la plupart des couples trouvent de nouveaux modes de relations épanouissants et
gratifiants.
Il existe une vie sexuelle après l’arrivée des enfants, même si elle est différente. Les couples qui peuvent communiquer avec sensibilité sur le sujet trouveront les moyens de faire les
ajustements nécessaires. Un conseiller attentif pourra faciliter le processus en aidant les couples à comprendre qu’ils ne sont pas les seuls à vivre une telle expérience.
Il est souvent difficile de parler de sexualité, mais les couples ont réellement besoin de partager leurs sentiments pendant cette période d’importants ajustements dans leur relation.
Discuter de sexualité pendant les consultations prénatales et post-natales, ou à l’occasion de réunions de groupes de mères, peut être un merveilleux moyen de mettre le sujet sur le tapis, et
sera souvent le prélude à une discussion à la maison.