Dossier de l'allaitement n°44, LLLFrance, 2000
Paroles de père : du rôle du père dans l'allaitement
Bon nombre de futures mères sont naturellement favorables à l'allaitement maternel. Mais l'environnement sociologique les amène à refouler ce souhait naturel. Quand je parle
d'environnement sociologique, je parle de notre société occidentale. Ailleurs ou en d'autres temps, le problème est autre. Dans cet environnement sociologique, outre la mère et la
grand-mère, on retrouve le père. Ces acteurs de la vie familiale vont développer, ensemble ou séparément, une dialectique qui amènera la future maman à culpabiliser et à renoncer à
allaiter son enfant.
L'argument «choc» qui est développé est le suivant : l'allaitement exclut le père ; ce dernier ne joue aucun rôle dans l'allaitement. Avant d'en venir au rôle du père dans l'allaitement,
posons-nous la question du rôle du père dans l'alimentation au lait industriel.
Je contemplais, dans un restaurant, un jeune couple qui venait fêter l'anniversaire d'une grand-mère. La maman avait sur ses genoux son bébé d'un mois environ, Il s'agissait d'un premier
enfant. Quant au papa, il avait en charge la logistique qu'impliqué un bébé, surtout lorsqu'il s'agit du premier (on constate en effet que la quantité de choses transportées pour bébé est
inversement proportionnelle au nombre d'enfants transportés...). L'apéritif terminé, bébé commença à assurer l'animation sonore de la salle du restaurant pour le plus grand plaisir de
tous. Ces bons parents, adeptes de méthodes rigoureuses dans l'éducation de l'enfant, avaient décidé que «ce n'était pas l'heure».
Au bout d'un certain temps, j'eus enfin la brillante démonstration du rôle du père dans l'alimentation au lait industriel. Pendant que maman, grand-maman et belle-maman se relayaient pour
calmer le jeune indiscipliné, papa se leva, alla jusqu'à la voiture (sous une pluie battante) pour aller chercher le biberon, l'eau, le lait en poudre et le chauffe-biberon ; il alla voir
l'aubergiste pour avoir une rallonge électrique, et continua son rôle de père moderne en bougonnant «faites des enfants, qu'il disait... ». L'ambiance dans le restaurant était des plus
animées après 30 minutes de concert de la nouvelle vedette. Enfin, le papa amena le fameux biberon. Dans les cinq secondes, le papa se vit renvoyer avec son biberon : «trop chaud».
Lorsque enfin le biberon fut accepté, le bébé fut placé sur les genoux de belle-maman, qui donna dans toutes les règles de l'art le biberon, symbole de modernité et d'égalité.
Avant d'avoir été partisan de l'allaitement, je dois reconnaître que j'ai surtout été un farouche opposant du biberon pour des raisons purement égoïstes :
* financières : inutile d'acheter de l'eau et du lait en poudre ;
* matérielles : les déplacements avec un bébé impliquent suffisamment de matériel pour qu'on n'ait pas envie d'en rajouter ;
* tranquillité : lorsque bébé commence à pleurer la nuit, quel plaisir de se lever et de simplement le ramener entre maman et papa, qui tous deux peuvent se replonger dans une douce
somnolence ; comparativement, avec l'alimentation au lait industriel, il faut se lever, vraiment se réveiller, doser le biberon comme un ingénieur chimiste, le chauffer ni trop ni trop
peu ; pendant ce temps, bébé a réveillé toute la maison par ses cris ;
* pratiques : par exemple, en voiture, inutile de s'arrêter pour préparer le biberon, ou de s'énerver pendant que bébé hurle en attendant de le recevoir.
Mais quel rôle peut donc jouer le père dans l'allaitement ?
Son premier rôle, et c'est probablement le plus important, est de soutenir moralement la maman. L'allaitement, pour la jeune mère peu ou mal informée, peu pu mal soutenue et conseillée,
implique un effort non négligeable au démarrage. Les engorgements, les crevassas, les «caprices» du bébé (qui n'ont souvent rien à voir avec l'allaitement) sont autant d'obstacles à
surmonter. Son premier soutien doit être celui du père de son enfant. A défaut d'un soutien actif (pour lequel les pères sont encore moins bien formés que leurs compagnes), il peut opter
pour un soutien passif, en évitant d'abord les critiques inutiles, et ensuite en se laissant aller à une béate admiration du tableau de ces deux êtres tant aimés.
Il pourra être un peu plus actif en mettant diplomatiquement un frein aux doctes avis de belle-maman ou des autres personnes bien intentionnées qui, au nom de l'expérience, se font un
devoir d'imposer leur point de vue en matière de puériculture. En cas d'alimentation au lait industriel, elles obtiennent plus facilement le droit de s'immiscer dans le trio sacré que
constituent l'enfant, la mère et le père.
Enfin, il pourra être vraiment actif en aidant la jeune maman dans bon nombre d'autres activités. En cela, il pourra créer avec son enfant, un lien beaucoup plus concret qu'en faisant
chauffer des biberons à la bonne température. Donner le bain à bébé, changer ses couches, le prendre dans les bras, le câliner, gazouiller avec lui, lui chanter des berceuses, l'éveiller
au monde qui l'entoure, sont autant de gestes où bébé et papa pourront faire connaissance. Plus tard, quand le petit frère arrivera, l'aîné trouvera en son père celui qui est plus
disponible, et la relation du père à son enfant pourra alors prendre une dimension encore différente.
Alors, pourquoi des pères sont-ils contre l'allaitement?
Peut-être certains sont-ils sincères, et pensent-ils faillir à leur rôle de père s'ils ne sont pas capables d'être là en toute circonstance (biberon compris). Peut-être parce que au nom
d'un égalitarisme ambiant des femmes aux hommes, certains hommes pensent qu'il faut réclamer un égalitarisme des hommes aux femmes. A quand la grossesse pour les hommes ? Mais,
certainement, la majorilé des hommes réagissent plus par instinct de jalousie que par réel amour de leur enfant (car par amour ils devraient tout faire pour favoriser l'allaitement tant
cela est profitable à l'enfant). Il y a probablement la volonté de prendre une place entre la mère et l'enfant, pour surtout reprendre la place principale. Cest ignorer que l'amour ne se
divise pas mais s'additionne toujours.
On entend également dire que l'allaitement déforme la poitrine. Quand on sait ce qu'il en est vraiment, on rentre dans le domaine de la jalousie physique, et là les réelles motivations
deviennent inquiétantes. Je perçois encore beaucoup d'autres explications, mais mon incompétence en matière de psychologie (voire de psychanalyse) m'interdit d'aller plus loin.
En conclusion, j'en appelle au cœur des futurs pères. Par amour pour votre femme, soyez un vrai soutien si elle veut allaiter. Ne lui refusez pas de vivre dans sa plénitude son rôle de
mère, avec tous tes attributs que la nature lui a donnés ; ne coupez pas tout de suite le second cordon ombilical. Par amour pour votre enfant, respectez l'intégrité de la relation qu'il
a avec sa mère, et dans laquelle vous n'avez rien à faire. Mais soyez pleinement là où l'enfant vous attend. Elle est la mère, vous êtes le père ; n'essayez pas de tout embrouiller, et
vous verrez comme tout est simple. Au fond, l'allaitement c'est cela : c'est la simplicité (du matériel comme du coeur). La place du père ne se situe pas dans un biberon. C'est au père de
se faire sa place dans la relation triangulaire avec l'enfant. C'est certes à la mère de laisser au père la possibilité de prendre sa place auprès de l'enfant. Mais c'est bien d'une
identité masculine dont l'enfant a besoin dans son père. L'homme n'est pas fait pour « materner » ; la fonction nourricière incombe naturellement à la mère, le père est présent pour
veiller au bon déroulement du maternage de son enfant. L'homme, en qualité de père, doit être présent pour séparer peu à peu l'enfant de sa mère, en lui assurant notamment une identité,
en l'encourageant dans tous les actes qui le mènent vers l'autonomie et l'indépendance, dans un cadre bienveillant et sécurisant
Etienne LEMAIRE - père de 4 enfants - CHEPY (80)
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